Profil #2 : Ahmed, gérant de Chiche Kebab
Dans le cadre de l’acte III de la démarche Palimpseste dédié au temps du chantier, nous sommes partis à la rencontre des habitants du quartier et de leurs histoires, anecdotes, et souvenirs des temps passés.
Il est 13 heures, et Chiche Kebab, au coin de la rue de la Poudrette et de la rue Alfred de Musset, ne désemplit pas. Ahmed, le gérant, serre des mains, fait des sourires, offre des thés à la menthe, salue de loin, s’interrompt pour discuter avec les clients. Ici, il connaît tout le monde. C’est dans ce quartier qu’il vit depuis près de 30 ans :
“J’aime le contact avec les gens, je suis très à l’écoute avec les clients, même avec les voisins du quartier. J’ai toujours été comme ça, c’est peut être parce que depuis mon enfance, je baigne dans le commerce.”
Ahmed naît et grandit à Konya, au sud-ouest de la Turquie. Dans les années 1970, son père s’installe en France avec sa famille pour le travail. Âgé de 12 ans, il ne parle pas un mot de français et passe ses premières années dans une classe d’adaptation, non sans difficultés. Pendant les vacances scolaires, il aide son oncle qui tient un kebab à Hôtel de Ville, une affaire de famille. C’est là qu’il goûte son premier kebab, un souvenir gustatif qui le fait sourire. Il apprend avec son oncle les bases de la restauration et améliore ses connaissances de la langue française :
“Un jour, un client m’a demandé de lui servir un kebab avec “léger harissa”. A l’époque, je pensais que léger voulait dire beaucoup. J’ai donc chargé son sandwich d’harissa et c’est comme ça que j’ai compris que léger voulait dire un petit peu. J’en rigole aujourd’hui.”
Il se souvient avec plaisir de ces moments passés à apprendre la découpe des légumes, de la viande mais aussi à soigner les clients et à tenir un commerce. “C’est là que j’ai appris que 1+1 = 3 : l’achat, la vente et le bénéfice” nous explique t-il. A 17 ans, il arrête ses études dans le bâtiment pour se consacrer à temps plein à la restauration.
C’est dans cette bâtisse vieille d’un siècle qu’il installe son restaurant, Chiche Kebab, il y a une dizaine d’années. Il se rappelle bien du casino, de l’épicerie puis du snack qui ont occupé le local avant lui. Lentement, il accroît sa popularité dans le quartier et auprès des voisins.
“J’avais beaucoup d’amis qui étaient à l’IUFM, c’était nos premiers clients, et ils viennent encore ! “
Aujourd’hui, sa réputation n’est plus à faire. Les clients de tous âges font la queue pour croquer dans ses sandwichs riches de couleurs et de saveurs. “On a même eu des joueurs de l’Olympique Lyonnais” nous dit-il fièrement. En temps normal, ils sont six ou sept à travailler pour découper, trancher, emballer, servir… La qualité passe avant tout. La viande est d’origine française et les légumes sortent tout droit de chez le producteur. Ahmed nous explique que l’assaisonnement compte aussi beaucoup. Lorsqu’il a commencé ce métier, il n’y avait que cinq sauces disponibles : moutarde, sauce blanche, mayonnaise, ketchup et harissa, contre plus de quinze aujourd’hui. “Personnellement, je trouve que c’est de l’abus, et en plus ce sont des sauces faites avec des produits chimiques” nous explique t-il.
Mais Chiche Kebab n’est pas seulement un kebab de quartier, c’est aussi un lieu chaleureux pour ceux qui vivent dans la rue et qui ont faim. Ahmed leur donne la main sur le coeur :
“C’est un plaisir d’offrir, je me dis qu’un jour, je peux aussi me trouver dans cette situation. Faire un petit geste, un thé chaud, une portion de frites ou même un sandwich, ça me fait vraiment plaisir.”
C’est en effet la convivialité qui émane du petit local, qu’Ahmed a décoré à son goût. Sur le mur du fond, il a fait faire un montage photo du détroit du Bosphore à Istanbul et des rives du Rhône à Lyon, un rappel de sa double culture. La broche tournante montée maison, les calorifères ronronnants et le gros bidon de thermos à thé à l’entrée participent à cette atmosphère dépaysante et chaleureuse.
Quand on lui parle du nouveau quartier de l’Autre Soie, il se montre très enthousiaste. A ses yeux, le quartier devient un point stratégique et il souhaite rester ici dans les années à venir. Il apprécie tous ces changements rapides autour de son magasin et espère être approuvé par les futurs habitants du nouveau quartier. Aucun doute là-dessus.
La prochaine fois, arrêtez-vous au 112 rue de la Poudrette. On vous offrira un kebab goûtu, et un accueil amical. Et si vous n’arrivez pas à faire votre choix, Ahmed est de bon conseil :
“Le meilleur kebab c’est nature : pleins d’oignons, pleins de légumes, léger viande et sauce blanche, c’est tout.”