Traces d’occupation #1 – Entretien avec BlÖffique Théâtre
Ils ont fait vivre le site pendant les deux ans d’occupation temporaire. Ils repartent chargés de souvenirs et d’anecdotes sur l’Autre Soie. Cet entretien a été réalisé avec Magali et Mélanie, respectivement directrice artistique et administratrice du blÖffique théâtre. Avec Joséphine, en charge du développement, elles coordonnent les activités de la compagnie.
Comment avez-vous vécu votre arrivée et votre intégration au lieu ?
Notre arrivée dans le lieu correspondait pour nous à un retour dans le quartier. Cela faisait six ans qu’on y travaillait régulièrement. Nous avons retrouvé un quartier en plein chantier, et ça nous allait très bien car on travaille sur la transformation de la ville. De manière générale, cela avait beaucoup de sens pour nous d’intégrer le projet du CCO, un projet sur la ville inclusive qui mélange plein d’acteurs différents. C’était la première fois que nos bureaux étaient dans un endroit en cohérence avec le discours qu’on porte. Même si, à notre installation, c’était peut-être un peu moins confortable que nos anciens bureaux, c’était très dynamisant !
Avant d’arriver ici, nous réfléchissions à un autre projet d’installation, sous la forme de bureaux mobiles qui peuvent s’intégrer aux différents espaces de la ville où la compagnie travaille. Ça faisait un moment qu’on réfléchissait à où et comment s’installer, à la manière la plus juste de penser le lien entre l’équipe artistique et l’équipe administrative et technique… Intégrer l’Occupation Temporaire a été une réponse à ces questionnements.
Et puis on était très content d’être là ! On venait d’un endroit bien plus classique, moins funky : une maison des associations, où on ne croisait pas grand monde et où la vie collective n’était pas pensée. Notre travail se base sur la porosité entre vie sociale et artistique, et le CCO porte cela dans ses intentions. C’est inédit par rapport aux autres lieux dans lesquels on a été. À notre arrivée, nous avions une grosse curiosité pour celles et ceux qui étaient là, avec nous.
Que retenez-vous de votre position au sein des initiatives collectives de l’Autre Soie ?
Au tout début, chacun était assez pris dans ses activités. Les premières initiatives collectives étaient surtout de l’ordre de l’organisation : comment gérer la cuisine, les espaces partagés… L’esprit collectif s’est construit sur le fonctionnement quotidien. C’était très engageant.
Qu’est ce que l’occupation temporaire vous a permis d’inventer qui n’aurait pas pu se faire en d’autres lieux ?
Plein de trucs ! Tout d’abord, être installés ici nous a permis d’expérimenter des projets.
Le plus important c’est l’expérimentation de Nocturne au sein du Centre d’Hébergement d’Urgence (CHU), avec qui on partage les locaux. Nous avions déjà commencé à travailler avec les habitants de ce foyer avant notre arrivée, et, d’une certaine manière, ce sont eux les « vrais » représentants des habitants du quartier. Nous, on vient seulement travailler ici, on n’y habite pas.
On a aussi pu tester Le jour d’après – boîte de déconfinement. C’est un module installé dans le jardin du CCO après le premier confinement, sur lequel les usagers pouvaient partager des sensations sur la période qu’ils venaient de vivre.
En étant installés ici, on a un peu la sensation d’habiter un « territoire d’expérimentation ». Nous sommes en lien avec des habitants avec qui nous n’aurions pas forcément travailler ailleurs. Et puis, être présent sur un temps long nous laisse le temps de faire des erreurs, d’essayer des choses qui ne marchent pas… (rires). Et ça, c’est précieux ! Par exemple, Magali avait fait Correspondance de quartier et La ville s’écrit avec les gens du Groupe d’Entraide Mutuel (GEM) avant d’arriver ici. Depuis, on a très envie de faire un nouveau projet avec eux, mais on ne trouve pas le cadre. On a fait quelques expérimentations qui n’ont pas été fructueuses, et on cherche encore… Ici, on a le temps de comprendre, de réfléchir à faire mieux, différemment.
Et puis, faire partie de l’Occupation Temporaire nous permet de réfléchir à comment faire « projet commun ». Cela nous confirme le fait qu’être en co-présence n’est pas suffisant, qu’il est important d’être investis dans des projets ensemble pour que ça marche. Par exemple, le projet Nocturne au CHU a permis de sceller un lien aussi bien avec les habitants du foyer qu’avec l’administration du CCO, puisque le spectacle faisait partie du festival l’Aventure Ordinaire. Par ce projet, on a pu se présenter mutuellement, et de manière assez profonde. Il y a eu pas mal d’incompréhensions au début, mais partager des quiproquos, des incompréhensions, c’est toujours plus fort que de partager de la compréhension ! (rires).
L’importance d’un lieu comme ça, c’est le temps long. Ça change tout.
Quels sont les temps partagés qui vous ont le plus marqués durant l’OT et pourquoi ?
Le festival du CCO (l’Aventure Ordinaire) a été un moment important pour nous. Il correspondait au un an de l’Occupation Temporaire, et, pendant ce temps fort, tous les occupants ont été très actifs, très impliqués. Cela a également contribué à ouvrir le lieu sur le reste de la ville : le maire de Villeurbanne est venu, tous les occupants ont pris la parole. Le festival a fonctionné comme un rite qui a solidifié un peu plus le projet.
Et puis l’autre moment fort a été après le confinement, quand tout le monde est revenu. Ce contexte de travail nous avait manqué et le lieu est devenu un endroit d’immense liberté. Tout le monde s’est mis à travailler dehors, on a pu prendre la mesure du travail de chacun. Et il y avait une programmation de concerts les soirs… Le lieu est vraiment devenu un lieu de vie, ouvert sur la ville.
Qu’est-ce que vous retiendrez à titre personnel de l’occupation temporaire ? Un souvenir à partager ?
Mélanie : J‘ai été bénévole pour l’aide aux devoirs avec les enfants du CHU. J’ai beaucoup aimé ces moments parce qu’ils ont permis des échanges différents avec les enfants, de les rencontrer par un autre endroit que celui d’un projet artistique.
Selon vous, quels sont les ingrédients nécessaires pour une occupation temporaire réussie ?
La diversité des acteurs ! Et que les gens se reconnaissent dans le projet, que ça recoupe leurs enjeux. On se rend compte, aussi, que la coordination est importante. Sans une coordination dynamique, le collectif ne serait pas possible, ça resterait du « côte à côte ».
Et puis l’autre ingrédient, c’est la liberté. On avait une liberté énorme ! On pouvait tout faire parce que le lieu va être refait : écrire sur les murs, coller des trucs… On était comme dans une parenthèse de la vie du lieu.
Comment avez-vous vécu votre départ de l’Autre Soie ? Aviez-vous une attache pour ce lieu patrimonial ?
Ça n’a pas été douloureux, parce qu’on ne part pas, on reste ! On entre plutôt dans l’étape 2, on va voir la construction du bâtiment.
Avec le départ de l’Autre Soie, le nombre de structures s’est réduit, et cela entraîne d’autres manières de fonctionner. Mais on a vite retrouvé nos repères. En un an et demi, le collectif avait eu le temps de bien s’agglomérer, alors, quand on a déménagé, en 15 jours tout le mobilier et la dynamique se sont naturellement re-déployés ici.
Après on s’est forcément un peu attaché au lieu, parce qu’on y a vécu beaucoup de trucs forts.
Selon vous, dans quelle mesure ce temps court de l’occupation temporaire aura une influence sur vos projets à long terme ?
Le temps de l’Occupation Temporaire a été fondateur pour le projet Nocturne. Ce projet soulève la question des services publics, qu’ils soient reconnus comme tels, ou non. D’un certain point de vue, le CCO pourrait aussi être considéré comme un service public…
L’Occupation Temporaire a aussi été très dynamisante pour le blÖffique en général. C’est très riche pour la compagnie, pour toute l’équipe d’être intégrée à un projet collectif plus grand.
Comment les transformations majeures (urbaines et sociales) du quartier vous ont-elles marqués et/ou impactés pendant l’occupation temporaire ?
Ce qui nous marque surtout, c’est la vitesse des transformations. On a vraiment l’impression qu’un quartier entier sort de terre, dans un espace temps très rapide. Les transformations sont visibles au jour le jour. On s’en est particulièrement rendues compte avec ONIRé. Nous avons joué ce spectacle trois fois dans le quartier – à raison d’à peu près une fois par an – et on n’a pas pu faire trois fois le même parcours. Si on regarde les images, c’est chaque fois des paysages différents. Des chantiers s’ouvrent et d’autres se ferment. On a la sensation d’une « ville en mouvement », comme si, finalement, le béton pouvait bouger.
Magali: C’est une conception différente de la ville et de l’espace public que celle qui existait lorsque j’étais petite. Bon, avec du bruit et plein de nuisances… Mais d’un certain point de vue, c’est aussi une ville qui prend vie !
Mélanie: Le quartier s’est beaucoup peuplé depuis qu’on est arrivé au CCO. Ça nous questionne sur comment on en fait « de la ville », du collectif. On se demande quels sont les usages de tous ces habitants, comment ils vivent. C’est très important qu’il puisse exister des espaces de vie, où les gens peuvent se rencontrer. Le CCO peut être un lieu comme ça.
Magali : Pour nous, c’est assez stimulant d’arriver au début d’un projet urbain. D’habitude, on arrive 50 ans après, et ce sont les habitants installés depuis longtemps qui nous racontent les valeurs positives, les idées utopiques au cœur du projet d’aménagement initial. Alors, se trouver ici au début du projet urbain, ça fait gamberger…
Participants au projet : Halim Brahmi, Christian Couzinou, Marie-Christine Duvivier, Lilie Fréchuret, Omar Haimer et ses deux fils, Hadj & Abdelmalek, Mourad Hamouda, Farida Hasnaoui, Zoé Martin. Avec la contribution de Florence Leray.
Une co-production CCO Villeurbanne et ainsi parlait. Avec le soutien de la DRAC AURA, de la Région Auvergne – Rhône-Alpes, de la Ville de Villeurbanne, du Feder Fonds Européen de développement régional et de l’Europe subvention liée à l’Urban Innovative Actions (UIA) pour le projet Home Silk Road.